Si l’on met de côté toutes les implications politiques que recouvre ce terme, le « conservateur » est d’abord quelqu’un qui s’efforce de « conserver ». Pour déterminer si une telle attitude est juste ou erronée, il suffit de considérer ce que l’on cherche à conserver. Si les structures sociales que l’on défend — et du reste c’est toujours de cela qu’il s’agit — sont en conformité avec la finalité la plus haute de la vie humaine, et correspondent aux besoins profonds de l’homme, pourquoi ces structures sociales ne seraient-elles pas aussi bonnes, voire meilleures, que toutes les innovations que le cours du temps peut apporter ? Il paraît normal de suivre un tel raisonnement, mais l’homme contemporain ne raisonne plus normalement. Même lorsqu’il ne méprise pas systématiquement le passé et qu’il ne place pas toute son espérance dans le seul progrès technique pour améliorer le sort de l’humanité, il a généralement un préjugé contre toute attitude conservatrice. Car en fait, que ce soit chez lui conscient ou pas, il est influencé par la thèse matérialiste selon laquelle toute forme de « conservatisme » va à l’en-contre du principe de changement inhérent à la vie, et conduit de ce fait à la « stagnation ».
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Titus Burckhardt : « Être conservateur »
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Alain de Benoist : « Le mythe du progrès »
Au XVIIIe siècle, la modernité, dont les racines sont beaucoup plus anciennes, a trouvé sa légitimation théorique dans l’idéologie du progrès. Celle-ci, formulée notamment par Condorcet (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, ouvrage posthume paru en 1795), s’articule autour d’une affirmation simple : l’humanité, depuis ses débuts, est engagée de manière unitaire dans une perpétuelle marche en avant qui associe l’amélioration de ses conditions d’existence à l’amélioration continuelle de l’homme. Il en résulte que la nouveauté (le novum) vaut pour elle-même au seul motif qu’elle est nouvelle. Cette marche en avant équivaut à un affranchissement du passé. Les sociétés traditionnelles déterminaient en effet leurs règles et leurs principes en fonction de ce qui paraissait avoir fait ses preuves dans le passé (la tradition, les ancêtres) : le terme grec archè renvoie aussi bien à l’« archaïque » qu’à ce qui fait autorité. C’est même l’ancienneté des coutumes qui en garantissait en quelque sorte la valeur. Convaincues de la réalité du progrès, les sociétés modernes se légitiment au contraire par une promesse d’avenir. Elles ne sont pas plus libres – bien qu’elles pensent souvent l’être –, mais déterminées par la certitude de « lendemains qui chantent » : l’hétéronomie par le futur remplace l’hétéronomie par le passé. C’est pourquoi elles tendent à ne voir que « préjugés » et « superstitions » dans la façon de faire des Anciens. Elles aspirent, elles, à un Homme nouveau, émancipé de tout ce qui, auparavant, faisait obstacle à la grande marche en avant du progrès.
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