A l'opposé de ce que pensent les partisans du mythe du progrès, les mouvements révolutionnaires de l'époque moderne, loin de représenter quelque chose de positif et d'avoir donné naissance à des formes autonomes et originales, ont essentiellement agi par inversion, subversion, usurpation et dégradation des principes, des formes et des symboles propres aux civilisations et régimes antérieurs, de caractère traditionnel. Cela pourrait être aisément illustré par des exemples pris dans différents domaines, à commencer par une considération sur les « immortels principes » de la Révolution française. Mais, pour le moment, nous désirons nous arrêter seulement sur certains termes et sur certains symboles caractéristiques.
Il y a tout d'abord la couleur rouge. Cette couleur, devenue l'emblème de la subversion, est celle qui, précédemment et en tant que pourpre, a entretenu une relation récurrente avec la fonction royale et impériale : et ce non sans rapport avec le caractère sacré reconnu à cette couleur. La tradition pourrait nous ramener jusqu'à l'Antiquité gréco-romaine, où le rouge, correspondant au feu considéré comme le plus élevé de tous les éléments (l'élément, selon les Anciens, dont était le ciel suprême, nommé pour cette raison « empyrée »), fut aussi associé au symbolisme triomphal. Dans le rite romain du « triomphe », rite plus religieux que militaire, l'empereur, le vainqueur, non seulement revêtait la pourpre, mais à l'origine se teintait de cette même couleur, afin de représenter Jupiter, le roi des dieux, dont on estimait qu'il avait agi à travers sa personne au point d'être lui-même le véritable artisan de la victoire. Il est superflu de citer des exemples empruntés aux traditions postérieurs pour ce qui concerne le rouge comme couleur de la royauté : dans le catholicisme lui-même, sont « prince de l'Église » ceux qui ont revêtu la « pourpre cardinalice ». Mais nous assistons aujourd'hui à la déchéance de cette couleur, présente dans le drapeau rouge marxiste et dans l'étoile rouge des Soviets.
Prenons maintenant le terme de « révolution ». Il est peu d'hommes qui se rendent compte de la perversion du sens originel de ce mot que représente son usage moderne. Au sens premier, révolution ne veut pas dire subversion et révolte, mais précisément l'opposé, à savoir : retour à un point de départ et mouvement ordonné autour d'un centre, si bien que, dans le langage astronomique, la révolution d'un astre désigne précisément le mouvement qu'il accomplit en gravitant autour d'un centre, lequel en contient la force centrifuge, empêchant ainsi l'astre de se perdre dans l'infini.
Mais cette notion joue aussi un rôle important dans la doctrine et dans le symbolisme de la royauté. Le symbolisme du pôle appliqué au Souverain, point ferme et stable autour duquel s'ordonnent les diverses activités politiques et sociales, a revêtu une portée pratiquement universelle. Une maxime caractéristique de la tradition extrême-orientale dit : « Celui qui règne par la vertu du Ciel (ou mandat divin) ressemble à l'étoile polaire : elle reste fixe à sa place, mais toutes les autres étoiles tournent autour d'elle. » Au Moyen-Orient, le terme qutb, « pôle », a désigné non seulement le souverain, mais, plus généralement, celui qui dicte la loi et qui est le chef de la tradition pour une période historique donnée. On peut remarquer, du reste, que le spectre comme attribut royal et impérial, a eu le même sens à l'origine. Le spectre implique la notion d'« axe », analogue à l'idée de « pôle ». C'est l'attribut essentiel de la royauté, le fondement de l'idée même d'« ordre ». Quand cet attribut est réel, il subsiste toujours, dans un organisme politique, quelque chose de solide et de calme, malgré les agitations ou bouleversements dus aux contingences historiques. On pourrait prendre, à ce sujet, l'image du gond d'une porte, qui reste immobile et retient la porte même quand celle-ci bat.
La « révolution » au sens moderne, avec tout ce qu'elle a entraîné, équivaut au contraire à tirer la porte de ses gonds, par opposition à la signification traditionnelle du terme : les forces sociales et politiques se détachent de leur orbite naturelle, déclinent, ne connaissent plus ni centre ni ordre, mais seulement une forme de désordre maladroitement et temporairement contenu.
On a fait allusion à l'étoile des Soviets. C'est l'étoile à cinq branches. Des remarques analogues valent aussi pour elle. Nous nous contenterons de rappeler que ce symbole ─ tout comme le « pentagramme » ─ fut, jusqu'à une période postérieure à la Renaissance, un symbole ésotérique du « microcosme », c'est-à-dire de l'homme conçu comme image du monde et de Dieu, dominateur de tous les éléments grâce à sa dignité et à sa destination surnaturelles. De même, dans les légendes et les histoires de magie (il suffit de penser au Faust de Goethe), cette étoile apparaît comme signe consacré auquel obéissent les esprits et les éléments. Or, à travers une déchéance progressive dont il serait intéressant de suivre les étapes, l'étoile-pentagramme, d'abord symbole de l'homme comme être spirituellement complet et surnaturellement souverain, a fini par devenir le symbole de l'homme « terrestrifié » et collectivisé, du monde des masses prolétariennes tournées vers la domination du monde à l'enseigne d'un messianisme lui-même inverti, athée, destructeur de toute valeur supérieure et de toute dignité humaine.
Cette déchéance des symboles apparaîtra à tout regard attentif comme un signe des temps particulièrement significatif et éloquent.
Julius Evola ─ Explorations : Hommes et problèmes (1974)
Article 7 : L'inversion des symboles
Éditions Pardès, 1989, p. 59-62