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Julius Evola : « De la dévirilisation au féminisme moderne »

2794544753.jpgIl était inconcevable qu'un monde qui a « dépassé » les castes en rendant à chaque être humain ─ pour reprendre le jargon jacobin ─ sa « dignité » et ses « droits », pût conserver la moindre intelligence des justes relations entre les sexes. L'émancipation de la femme devait fatalement suivre celle du cerf et compléter la glorification du sans-classe et du sans-tradition, à savoir du paria.  Dans une société qui ne sait plus rien de l'Ascète, ni du Guerrier ; dans une société où les mains des derniers aristocrates semblent faites davantage pour des raquettes de tennis ou des shakers de cocktails que pour des épées ou des sceptres ; dans une société où le type de l'homme viril – quand il ne s'identifie pas à la larve blafarde appelée « intellectuel » ou « professeur », au fantoche narcissique dénommé « artiste », ou à cette petite machine affairée qu'est le banquier ou le politicien – est représenté par le boxeur ou l'acteur de cinéma ; dans une telle société, il était naturel que la femme se révoltât et revendiquât pour elle aussi une « personnalité » et une liberté au sens moderne, donc anarchiste et individualiste, de ces termes. Alors que l'éthique traditionnelle demandait à l'homme et à la femme d'être toujours plus eux-mêmes, d'exprimer par des traits de plus en plus nets ce qui fait de l'un un homme, de l'autre une femme – nous voyons la civilisation moderne se tourner vers le nivellement, vers l'informe, vers un stade qui, en réalité, n'est pas au-delà, mais en-deçà de l'individuation et de la différence entre sexes.


Et l'on a pris une abdication pour une conquête. Après des siècles d'« esclavage », la femme a donc voulu être libre, vivre pour elle-même. Mais le « féminisme » a été incapable de concevoir pour la femme une personnalité, sinon en imitant la personnalité masculine, de sorte qu'il n'est pas excessif de dire que ses « revendications » masquent une défiance fondamentale de la nouvelle femme envers elle-même, son impuissance à être et à valoir en tant que femme, et non en tant qu'homme. En raison de cette incompréhension, la femme moderne a ressenti une infériorité tout à fait imaginaire en estimant n'être qu'une femme, et comme une offense en étant traitée « seulement comme une femme ». Telle a été l'origine d'une vocation erronée : à cause d'elle précisément, la femme a voulu prendre une revanche, mettre en avant sa « dignité », montrer sa « valeur » ─ en se mesurant à l'homme. Seulement, il ne s'est agi en rien de l'homme vrai, mais de l'homme-construction, de l'homme-fantoche d'une civilisation standardisée, rationalisée, n'impliquant quasiment plus rien de vraiment différencié et qualificatif. Dans une telle civilisation, évidemment, il ne peut plus être question d'un quelconque privilège légitime. Les femmes incapables de reconnaître leur vocation naturelle et de la défendre, ne serait-ce que sur le plan le plus bas (car il n'est pas une femme sexuellement épanouie qui envie l'homme et éprouve le besoin de l'imiter), purent donc prouver aisément qu'elles aussi possédaient virtuellement les facultés et les talents ─ matériels et intellectuels ─ qu'on rencontre dans l'autre sexe et qui sont généralement nécessaires et appréciés dans une société de type moderne. Au demeurant, l'homme a laissé faire, se comportant en véritable irresponsable ; il a même aidé, poussé la femme dans les rues, les bureaux, les écoles, les usines, dans tous les carrefours contaminateurs de la société et de la culture modernes, favorisant ainsi le dernier stade du nivellement.

Et là où l'émasculation spirituelle de l'homme moderne matérialisé n'a pas restauré de manière tacite la primauté, typique des antiques communautés gynécocratiques, de la femme-hétaïre arbitre d'hommes abrutis par la sensualité et travaillant pour elle, le résultat a été la dégénérescence du type féminin jusque dans ses caractéristiques somatiques, l'atrophie de ses potentialités naturelles, l'étouffement de son intériorité spécifique. D'où le type de la garçonne, la jeune fille creuse, superficielle, incapable de tout élan au-delà d'elle-même, et pour finir inapte même à la sensualité et à la transgression : car pour la femme moderne les promesses de l'amour physique offrent souvent moins d'intérêt que le culte narcissique de son propre corps, que le fait de paraître habillé ou le moins vêtue possible, moins d'attrait que l'entraînement physique, le sport, l'argent et ainsi de suite. Il est vrai que l'Europe ne savait déjà pas grand-chose de la pureté de l'offrande, de la fidélité qui donne tout et ne demande rien, d'un amour suffisamment fort pour n'avoir pas besoin d'être exclusif.

En dehors d'une fidélité seulement conformiste et bourgeoise, l'amour que l'Europe avait choisi, c'était celui n'admettant pas que l'être aimé n'aime pas. Or, quand une femme, pour se consacrer à un homme, prétend que celui-ci lui appartienne corps et âme, elle ne se contente pas d'« humaniser » et d'appauvrir son offrande ; elle commence à trahir l'essence pure de la féminité pour emprunter, sous cet aspect également, un mode d'être propre à la nature masculine ─ et de l'espèce la plus basse : la possession, le droit sur l'autre et l'orgueil du Moi. Le reste a suivi et, comme dans toute chute, avec une accélération croissante. Dans une étape ultérieure, son égocentrisme augmentant, ce ne sont même plus les hommes qui intéressent la femme, mais seulement ce qu'ils peuvent lui donner pour satisfaire son plaisir ou sa vanité. Comme épilogue, on a des formes de corruption accompagnées d'autant de superficialité, ou bien une existence pratique et extravertie de type masculin qui dénature la femme et la jette dans la fosse masculine du travail, du gain, de l'activité pratique paroxystique et même de la politique.

Les résultats de l'« émancipation » occidentale, d'ailleurs en train de contaminer le monde entier avec plus de rapidité que la peste, ne sont pas différents. La femme traditionnelle, la femme absolue, en se donnant, en ne vivant pas pour soi, mais en voulant être tout entière pour un autre être, avec simplicité et pureté, s'accomplissait, s'appartenait, avait un héroïsme spécifique ─ et, au fond, s'élevait au-dessus de l'homme commun. La femme moderne, elle, s'est détruite en voulant vivre pour elle-même. La « personnalité » tant désirée lui enlève toute personnalité.

Il est donc facile de prévoir ce que doivent devenir, dans cette perspective, les relations entre les sexes, y compris sur le plan matériel. Ici, comme dans le magnétisme, plus forte est la polarité, plus l'homme est vraiment homme et la femme vraiment femme, plus haute et vive est l'étincelle créatrice. En revanche, que peut-il y avoir entre ces êtres mixtes, privés de tout rapport avec les forces de leur nature la plus profonde ? Entre ces êtres où la sexualité commence et finit sur le plan physiologique, à supposer même que des inclinations anormales, celles du « troisième sexe », ne se soient pas déjà manifestées ? Entre ces êtres dont l'âme n'est ni masculine, ni féminine, ou bien qui sont féminins tout en étant des hommes et masculins tout en étant des femmes, et qui exaltent comme un au-delà du sexe ce qui, en fait, est régression en-deçà du sexe ? Toute relation ne pourra plus avoir qu'un caractère équivoque et falot : promiscuité agrémentée d'esprit de camaraderie, morbides sympathies « intellectuelles », banalité du nouveau réalisme communiste ─ ou bien souffrira de complexes névrotiques et de tout ce sur quoi Freud a édifié une « science » qui est vraiment un authentique signe des temps. Le monde de la femme « émancipé » ne comporte pas d'autres possibilités, et les avant-gardes de ce monde, la Russie et l'Amérique du Nord, sont déjà là pour fournir, à ce sujet, des témoignages tout particulièrement significatifs.

Or, tout cela ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur un ordre de choses qui va beaucoup plus loin que ce que les modernes, dans leur légèreté, peuvent imaginer.

Nous avons dénoncé la décadence de la femme moderne ; mais il ne faut pas oublier que le premier responsable de cette décadence, c’est l’homme. De même que la plèbe n’aurait jamais pu se répandre dans tous les domaines de la vie sociale et de la civilisation s’il y avait eu de vrais rois et de vrais aristocrates, ainsi dans une société gouvernée par des hommes vraiment virils, jamais la femme n’aurait voulu ni pu emprunter la voie sur laquelle elle chemine de nos jours. Les périodes où la femme a accédé à l’autonomie, où elle a exercé un rôle prédominant, ont toujours coïncider, dans les cultures antiques, avec des époques d’incontestable décadence. Aussi la vraie réaction contre le féminisme et contre toute autre déviation féminine ne devrait-elle pas s’en prendre à la femme, mais à l’homme. On ne peut pas demander à la femme de revenir à ce qu’elle fut, au point de rétablir les conditions intérieures et extérieures nécessaires à la renaissance d’une race supérieure, si l’homme ne connaît plus qu’un simulacre de virilité.*

tumblr_nlkjeeTsf31qff52lo1_1280.jpgJulius Evola ─ Révolte contre le monde moderne (1934)
Extrait du chapitre 20 : Homme et femme
Co-éditions de L'Âge d'Homme • Guy Trédaniel, 1982, p. 212-215.

* NDLR : Ce dernier paragraphe est extrait du chapitre 21 : Le déclin des races supérieures, page 218.

Commentaires

  • Bonjour, comment Julius Evola définit-il la virilité ?
    Merci d'avance pour votre aide.

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