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Jean Fabry : "Le chemin de la barbarie"

Le chemin de la barbarie passe à sept ou huit mille mètres de hauteur quelque part dans le ciel de Lorient, de Brest, de Paris ou d’Anvers. L’homme ne monte si haut que pour retourner à la bête.

« C’est la guerre », il paraît ! Il est possible qu’on ne puisse, en 1943, faire la guerre autrement et la concevoir moins laide ; alors, il faut convenir avec le reste de loyauté qu’elle n’a pas encore retiré de la circulation, qu’elle nous ramène tout droit à la barbarie la plus dégradante.

Il faut savoir si
« c’est la guerre » que cet arrosage au petit bonheur de 7 à 8 000 mètres de haut, des rives de la Seine du pont de Suresnes au viaduc d’Auteuil, dans la journée et à l’heure où sont réunies au maximum les chances de faire souffrir les plus innocents ? Sur ce parcours bien parisien, il y a tout de même un peu plus de promenades, de stades, d’hippodromes que d’usines ; et si celles-ci étaient vides le dimanche 4 avril, les autres étaient remplis de promeneurs paisibles.

Il faut savoir si
« c’est la guerre », de mettre dans le même sac, machines-outils et voitures d’enfants, gares et écoles, casernes et hôpitaux, et de taper dessus à tour de bras ; d’un bras aveugle, de sept mille mètres de long, qui est tout à fait sûr de cogner dans de la bouillie de nourrissons, de gamins et de malades ?

Si c’est bien ça la guerre, et s’il est bien de faire ainsi, alors il n’est plus rien de défendu. Après cet
« exemple » tombé de si haut, il ne peut plus passer sur le monde qu’une immense vague d’immoralité.

Péchés mortels ou véniels, attentats ou peccadilles, tout est absous.

A tous les échelons du meurtre, du vol, de la corruption, de l’imposture, de l’impolitesse, tout devient permis ; du grand au petit tout fait la chaîne [...]. A semer la bestialité, on récolte le vice et le meurtre.

On nous assure qu’à coups d’ailes des
« Liberator » et à coups de rames des « Liberty » nous prenons le chemin de la Liberté. Ce n’est pas vrai, nous sommes sur la route de la barbarie.

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Jean Fabry, Le chemin de la barbarie, dans Gringoire, 30 avril 1943, p. 3

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